Initiée par la loi Rebsamen sur le dialogue sociale du 17 août 2015, la sensibilisation à la prise en charge spécifique des pathologies psychiques liées aux conditions de travail trouve un écho fort attendu à travers le décret du 7 juin 2016 (n°2016-756) modifiant les prérogatives du Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles. Ce décret peut-il régler la question de la prise en charge des risques psychosociaux au titre de la législation professionnelle ?
Nicolas DELANNOY, Directeur Gestion des Risques Professionnels chez ATEQUACY, décrypte ce nouveau décret.
Comment détermine-t-on le caractère professionnel des RPS ?
Le sort des maladies psychiques liées au travail est aujourd’hui particulièrement complexe. Pour mémoire, en l’absence de tableau des maladies professionnelles venant fixer les conditions de prises en charge de telles pathologies au titre de la législation professionnelle, les demandes de prise en charge suivent un parcours particulièrement complexe dans lequel le Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles peut être amené à intervenir.
A titre d’illustration, le salarié sollicitant la prise en charge d’un burn out à titre professionnel doit effectuer une déclaration de maladie professionnelle auprès de sa Caisse Primaire d’Assurance Maladie de rattachement. Toutefois, puisque ce type de pathologie n’est répertorié dans aucun tableau, l’Assurance Maladie doit évaluer les conséquences futures de la maladie déclarée pour déterminer des suites de la demande.
Si l’Organisme relève que la maladie est essentiellement et directement causée par le travail habituel du salarié et qu’elle est susceptible d’entrainer le décès ou une incapacité permanente partielle d’au moins 25%, le Comité Régional peut être sollicité pour avis.
Si la demande ne remplit pas ces critères, c’est un refus pur et simple qui s’impose.
Quelle évolution apporte le décret du 7 juin 2016 ?
Là où le décret du 7 juin 2016 fait évoluer le système, c’est que le Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles – bien que composé de médecins experts (un médecin conseil régional, un médecin inspecteur régional du travail et un professeur des universités – praticien hospitalier ou un praticien hospitalier) – se voit désormais offrir la possibilité d’accueillir un médecin spécialisé en psychiatrie en remplacement de l’universitaire et/ou praticien hospitalier.
Le médecin conseil de la Caisse Primaire peut également, dans le cadre de l’instruction préalable à la décision de prise en charge d’une pathologie psychique au titre de la législation professionnelle, solliciter l’avis d’un médecin spécialiste en psychiatrie chaque fois qu’il l’estime nécessaire.
Les modifications apportées par ce décret du 7 juin 2016 à l’article D 461-27 du Code de la Sécurité Sociale, font donc évoluer la composition du CRRMP et la prise en compte de la spécificité de l’évaluation des pathologies psychiques. C’est un premier pas vers une organisation pérenne de la prise en charge des risques psycho-sociaux à titre professionnel.
En effet, l’évaluation de la pathologie et la lourde tâche consistant en l’évaluation des lésions potentielles irréversibles sur l’état de santé du salarié relevaient certes de la responsabilité d’experts médicaux, mais cependant non spécialisé en psychiatrie.
Or, les risques psycho-sociaux constituent des pathologies uniques dans l’univers médical que seuls des praticiens experts sont susceptibles d’aborder avec justesse ; un burnout n’est en aucune mesure comparable à l’évaluation des séquelles d’une lombosciatique ou d’une surdité professionnelle, aux critères bien établis.
Les possibilités ouvertes par ces nouvelles dispositions sont-elles suffisantes ?
La réponse est clairement négative. A l’heure où tout le monde attendait qu’un tableau des maladies professionnelles propres aux risques psychosociaux voit enfin le jour, la portée de ces dispositions sonne un peu creux.
Sans un véritable tableau déterminant les pathologies visées, une liste limitative de travaux susceptibles de les caractériser et un délai de prise en charge adapté, de nombreuses demandes de prise en charge feront l’objet d’un refus administratif car n’entrainant pas des conséquences potentielles suffisamment graves pour justifier le transfert de la demande au CRRMP.
Par ailleurs, si l’article D 461-27 du Code de la Sécurité Sociale offre la possibilité de solliciter l’avis d’un professeur d’université – praticien hospitalier ou d’un praticien hospitalier spécialisé en psychiatrie pour toute demande de prise en charge relative à des pathologies psychiques, il n’en fait en aucun cas une obligation.
Ainsi, le CRRMP « peut » faire appel à un tel expert. Le médecin-conseil en fait appel, mais s’il « l’estime nécessaire ». Une telle latitude laissée tant au Comité qu’au médecin-conseil de la Caisse Primaire limite la portée d’une telle mesure. Car en pratique, jusqu’au décret du 7 juin 2016, rien n’empêchait ces experts instructeurs de solliciter l’avis de confrères spécialisés en psychiatrie. Ce décret ne fait que transcrire dans le code de la Sécurité Sociale cette simple possibilité.
Pourtant, l’avis d’un expert en pathologie psychiatrique devrait être systématique pour toute demande de prise en charge de maladie professionnelle de ce type. La psychiatrie est une discipline à part dans le monde médicale où les maux sont d’abord psychiques avant d’être physiques.
Seul un expert peut donc être en mesure de déterminer si l’état de santé mentale d’un salarié va évoluer vers des séquelles lourdes et irréversibles (incapacité exigée d’au moins 25%) et si celles-ci sont « essentiellement et directement causées par le travail habituel du salarié » ou si une cause exogène peut être recherchée dans l’univers extra-professionnel du salarié, comme souvent constaté.
Cette transposition des dispositions de la loi Rebsamen du 17 août 2015 dans le Code de la Sécurité Sociale est, à n’en pas douter, une avancée modeste mais encourageante pour la juste appréhension des risques psycho-sociaux en milieu professionnel.
La perspective de la création d’un tableau des maladies professionnelles consacré à ces pathologies n’en demeure pas moins un mirage, dont les gouvernements successifs nous assurent pourtant être une priorité depuis 2009.
POUR ALLER PLUS LOIN : Quid de la qualification du burn out en tant que maladie professionnelle ?