Depuis l’essor du télétravail, un grand nombre de responsables HSE (et de RH) se questionnent sur certains points en lien avec ce mode d’organisation du travail, et notamment, est-ce qu’un accident en télétravail est automatiquement un accident du travail ? L’Eurogip analyse cette question par rapport aux pratiques actuelles chez nos voisins européens.
Quel cadre législatif ?
Depuis la crise sanitaire, le télétravail et les modes de travail hybride se sont durablement installés dans nos vies professionnelles. Pourtant, comme le rappelle Eurogip, à l’heure actuelle, il n’existe pas de texte européen sur le télétravail spécifiquement. Cela pourrait changer prochainement puisque « le 4 octobre 2022, une négociation européenne a officiellement débuté entre les partenaires sociaux européens en vue de préparer un accord et une proposition de directive relative au télétravail, qui serait programmée pour 2023. Ce texte – contraignant – aurait pour but de mettre à jour l’accord-cadre de 2002 et de pouvoir finalement harmoniser l’encadrement du télétravail au niveau européen ».
Attention, l’Eurogip précise que ce texte n’apporterait pas d’indications précises concernant la définition ou les conditions de prise en charge de l’accident de travail, car cela relève de la compétence exclusive des États membres. Comme elle pourrait contenir des exigences en matière de SST pour le télétravail, elle pourrait indirectement avoir des conséquences sur les différents systèmes AT/MP.
Pour chacun des sept pays étudiés – France, Italie, Espagne, Allemagne, Autriche, Finlande et Suède – l’Eurogip s’est penché sur la réglementation en vigueur, les dispositions concernant les AT en télétravail et des initiatives mises en place visant à prévenir les accidents en télétravail.
Une présomption d’imputabilité
En France, la protection contre les AT est étendue aux salariés en télétravail : « l’accident survenu sur le lieu où est exercé le télétravail pendant l’exercice de l’activité professionnelle du télétravailleur est présumé être un accident de travail au sens de l’article L. 411-1 du Code de la sécurité sociale » (C. trav., art. L. 1222-9). Cette présomption d’imputabilité fait reposer sur l’employeur – en cas de désaccord avec le salarié – la charge de démontrer l’inverse. Selon l’Eurogip, elle n’est pas sans difficulté, car le travailleur, à distance, “échappe” à la supervision de l’employeur.
On retrouve la même philosophie en Espagne avec la loi récente 10/2021 sur le travail à distance, avec une nuance. En effet, s’il existe aussi une présomption d’imputabilité (presunción de laboralidad) pour toute lésion subie par le travailleur pendant le temps et sur le lieu de travail, c’est au travailleur de démontrer que l’accident a eu lieu pendant le temps et sur le lieu de travail. La loi espagnole établit que « l’évaluation des risques et la planification des activités de prévention dans le cadre du travail à distance doivent tenir compte des risques caractéristiques de cette forme d’organisation de travail, en accordant une attention particulière aux facteurs psychosociaux, ergonomiques et organisationnels et à l’accessibilité de l’environnement de travail réel. Il faut notamment tenir compte de la répartition de la journée de travail, des temps de disponibilité et de la garantie des pauses et des déconnexions pendant la journée de travail ». L’Eurogip note que l’expression « “facteurs psychosociaux, ergonomiques et organisationnels” est très puissante, car elle indique noir sur blanc que les questions de santé mentale, d’ergonomie et les “nouvelles” difficultés typiques du travail à distance (un potentiel déséquilibre entre vie professionnelle et vie privée, par exemple) doivent être comprises dans l’évaluation ».
De l’autre côté du Rhin, historiquement une différence est faite entre les accidents domestiques (activités privées non assurées) et les accidents de travail (activité professionnelle assurée). Une législation très récente précise la prise en compte d’un AT en télétravail « lorsque l’activité assurée est exercée au domicile de l’assuré ou dans un autre lieu, la couverture d’assurance s’applique dans la même mesure que lorsque l’activité est exercée dans les locaux de l’entreprise ». Concrètement, aller chercher à boire dans sa cuisine est désormais couvert en cas de travail à distance. Un principe d’équivalence entre la couverture chez soi et celle que l’on aurait au bureau est établi. Par ailleurs, si l’activité assurée est exercée au lieu où se trouve le foyer commun, les trajets directs pour aller et revenir du lieu de garde des enfants sont également couverts par l’assurance accidents légale.
Equivalence entre télétravail et présentiel
Certains pays ont davantage précisé les critères, tout en gardant une équivalence entre télétravail et présentiel. Ainsi en Autriche, depuis la modification de la loi sur les contrats de travail (AVRAG) en avril 2021, les travailleurs ont droit à une protection à l’intérieur du logement pendant l’activité assurée effective dans le logement (le travail effectué) ; lors des déplacements à des fins essentiellement professionnelles (ex. : vers l’imprimante) ; lors de la satisfaction des besoins essentiels (manger, boire, aller aux toilettes) et lors des déplacements nécessaires pour satisfaire ses besoins. A l’extérieur du logement, le salarié est aussi protégé dans la plupart des situations prévues pour les travailleurs en présentiel.
En Italie, le télétravailleur est également protégé selon les mêmes critères qu’en présentiel. Mais ici, le droit italien diffère du droit français puisque, « pour qu’un accident soit indemnisé par l’INAIL, il ne suffit pas que l’événement se produise pendant le travail et sur le lieu de travail, mais il doit se produire à cause du travail ». En 2020, un accident en télétravail a été reconnu comme accident de travail. Il s’agissait d’une travailleuse qui était tombée dans les escaliers à son domicile alors qu’elle était en train de parler au téléphone (via le portable fourni par l’entreprise) avec un collègue et avait été victime de fractures. Initialement, l’INAIL s’était opposé à la reconnaissance de l’accident de travail, estimant qu’il n’avait pas de lien avec l’activité professionnelle, avant de faire marche arrière, probablement car la victime est tombée pendant un appel téléphonique professionnel (dans le cas contraire, cela aurait été un accident domestique).
Couverture partielle des AT en télétravail
En Scandinavie, le système est bien différent. En Finlande, selon la loi 459/2015 et son article 25, ne sont pas couverts les accidents qui, bien qu’ils aient eu lieu au travail, ne se sont pas produits dans le cadre strict du travail, mais à la suite d’activités que l’on exécute normalement au bureau (comme se blesser en préparant une tasse de café) ; les accidents de trajet entre le domicile et le lieu de travail et les accidents survenant pendant une pause repas ou récréative normalement associée au travail et se déroulant à proximité du lieu de travail. Pour compenser cette protection partielle en cas d’accidents en télétravail, des assurances privées supplémentaires existent (pour le secteur privé), mais elles sont volontaires et facultatives.
En Suède, 90 % des salariés sont automatiquement couverts par des polices d’assurance complémentaires. Cette couverture complémentaire est gérée par Afa Försäkring qui agit sans but lucratif et qui est entièrement détenue par des partenaires sociaux nationaux. Pour qu’un accident de travail soit reconnu comme tel en télétravail, le télétravailleur doit s’être blessé dans le cadre strict de l’exercice de ses fonctions. A titre d’exemple sont considérés comme accidents de travail les chutes dues à des trébuchements causés par les câbles de l’ordinateur de travail ; les accidents survenus pendant que le travailleur se promène dans la maison alors qu’il parle au téléphone avec des collègues et tous les accidents survenus pendant des déplacements autorisés (ex. : rendez-vous professionnel). Tous les autres accidents dits « domestiques » ne sont pas couverts comme se blesser pendant la préparation d’un café dans la cuisine (même pendant les heures de travail).
A noter qu’en Suède, en 2021 le gouvernement a publié la nouvelle stratégie de l’environnement de travail 2021-2025, développée en concertation avec l’Autorité suédoise pour l’environnement de travail et les partenaires sociaux. En 2022, le ministère du Travail a annoncé des actions législatives à venir pour « clarifier qui est responsable de l’environnement de travail dans les situations où il existe aujourd’hui des incertitudes » et adapter le cadre réglementaire en matière de santé et de sécurité à la vie professionnelle d’aujourd’hui et de demain.
Quelques initiatives à suivre
En France, une norme expérimentale sur le télétravail est en cours de rédaction à l’Afnor. Elle fournira des prescriptions concernant les outils et les modalités d’installation physiques aux postes tant en télétravail permanent qu’en modalité hybride, ainsi qu’un guide méthodologique pour accompagner la détermination des conditions du télétravail et des modalités de mise en œuvre sous l’angle ergonomique (centré sur l’“activité télétravaillable”).
En Allemagne où le télétravail « permanent et à domicile» (telearbeit ) est très encadré, la DGUV met à disposition des “check-lists”, nommées “CHECK-UP Homeoffice” pour l’évaluation des risques à distance. Disponibles en allemand et en anglais, elles portent sur plusieurs sujets : l’équipement de travail, le poste de travail, l’environnement de travail, l’affectation du travail et l’organisation du travail.
Clémence Andrieu