Notre article du 5 septembre 2017, antérieur à la publication des ordonnances et aux décrets d’application qui en ont découlé, vous informait des modifications principales attendues s’agissant du « Compte Personnel de Prévention de la Pénibilité » dont nous vous annoncions déjà le changement de dénomination en « Compte Professionnel de Prévention ».
Maintenant que l’ensemble des textes attendus sont parus, il est possible de faire un état des lieux de la réforme et de son impact. Ainsi, l’ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017 modifie-t-elle profondément le Compte Personnel de Prévention de la Pénibilité (C3P).
Si cette ordonnance a modifié le nombre de facteurs de risques pris en considération dans le cadre du Compte Professionnel de Prévention (C2P), cette ordonnance n’a pas pour autant transformé en profondeur l’état du droit.
Bien au contraire, cette dernière pérennise l’enclave créée à l’occasion de la réforme des retraites de 2010, en maintenant le principe du traitement spécifique de 10 facteurs de risques professionnels au sein du champ, beaucoup plus large, de la prévention des risques professionnels dans l’entreprise.
Toutefois, la définition de la pénibilité est supprimée depuis le 1er octobre 2017 au profit de l’intégration dans la partie législative du Code du travail de la liste des 10 facteurs de risques professionnels caractérisant un travail pénible (C. trav., art. L. 4161-1).
Néanmoins, l’ensemble de ces risques professionnels ne font plus l’objet d’une déclaration. Exit, donc, la déclaration par l’employeur de l’exposition des salariés à des risques dont l’évaluation s’avérait délicate, voire impossible ; désormais, seuls 6 facteurs donneront lieu à déclaration et alimenteront le C2P.
Les salariés exposés aux 4 facteurs « exclus » (manutentions manuelles de charges, postures pénibles définies comme positions forcées des articulations, vibrations mécaniques, agents chimiques dangereux) conservent toutefois les points antérieurement acquis au titre du C3P et pourront bénéficier, sous conditions, d’un départ en retraite anticipé.
L’ordonnance apporte également des modifications concernant la déclaration de ces facteurs de risques professionnels maintenus dans le cadre du Compte professionnel de prévention (1).
Les modalités de fonctionnement de ce C2P sont pour l’essentiel inchangées par rapport au C3P concernant l’acquisition des points et leur utilisation ; toutefois son financement est sensiblement modifié (2).
Enfin, l’ordonnance étend le périmètre de la négociation obligatoire en matière de prévention des facteurs de risques professionnels énoncés à l’article L.4161-1 du Code du travail (3).
1 – DES MODIFICATIONS CONCERNANT LA DECLARATION DE L’EXPOSITION DES SALARIES AUX FACTEURS DE RISQUES PROFESSIONNELS
- Quels sont les 6 facteurs que vous devez déclarer ? Et à quel moment les déclarer ?
Désormais, il n’y a plus que 6 facteurs à déclarer. À chacun de ces risques sont toujours associés des actions ou situations et des seuils annuels d’exposition, portant à la fois sur une intensité et une durée minimale.
Les tableaux d’exposition restent identiques concernant les 6 facteurs devant toujours être déclarés.
Il s’agit des facteurs et des tableaux suivants :
Environnement physique agressif |
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Facteurs de risques professionnels |
Seuil |
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Action ou situation |
Intensité minimale |
Durée minimale |
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a) Activités exercées en milieu hyperbare définies à l’article R. 4461-1 |
Interventions ou travaux | 1 200 hectopascals | 60 interventions ou travaux par an |
b) Températures extrêmes | Température inférieure ou égale à 5 degrés Celsius ou au moins égale à 30 degrés Celsius | 900 heures par an | |
c) Bruit mentionné à l’article R. 4431-1 |
Niveau d’exposition au bruit rapporté à une période de référence de huit heures d’au moins 81 décibels (A) | 600 heures par an | |
Exposition à un niveau de pression acoustique de crête au moins égal à 135 décibels (C) | 120 fois par an |
Certains rythmes de travail |
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Facteurs de risques professionnels |
Seuil |
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Action ou situation |
Intensité minimale |
Durée minimale |
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a) Travail de nuit dans les conditions fixées aux articles L. 3122-2 à L. 3122-5 | Une heure de travail entre 24 heures et 5 heures | 120 nuits par an | |
b) Travail en équipes successives alternantes | Travail en équipes successives alternantes impliquant au minimum une heure de travail entre 24 heures et 5 heures | 50 nuits par an | |
c) Travail répétitif caractérisé par la réalisation de travaux impliquant l’exécution de mouvements répétés, sollicitant tout ou partie du membre supérieur, à une fréquence élevée et sous cadence contrainte |
Temps de cycle inférieur ou égal à 30 secondes : 15 actions techniques ou plus | 900 heures par an | |
Temps de cycle supérieur à 30 secondes, temps de cycle variable ou absence de temps de cycle : 30 actions techniques ou plus par minute |
Pour ces six facteurs restants, l’employeur demeure tenu de procéder à une déclaration dématérialisée :
- chaque année civile et au plus tard au titre de la paie du mois de décembre pour les salariés titulaires d’un contrat de travail dont la durée est supérieure ou égale à l’année civile;
- si le contrat de travail du salarié d’une durée supérieure ou égale à un mois s’achève au cours de l’année civile, l’employeur réalise sa déclaration au plus tard lors de la paie effectuée au titre de la fin du contrat.
« L’employeur a la possibilité de rectifier ultérieurement sa déclaration jusqu’au 5 ou au 15 avril de l’année qui suit celle au titre de laquelle elle a été effectuée (ou pendant une période de trois ans si la rectification est en faveur du salarié). »
- Quel est l’organisme compétent pour contrôler cette déclaration ?
La CARSAT (ou la MSA) peut procéder ou faire procéder à des contrôles de l’effectivité et de l’ampleur de l’exposition aux facteurs de risques professionnels, ainsi que de l’exhaustivité des données déclarées, sur pièces et sur place.
- Quelle sanction en cas de déclaration inexacte ?
En cas de déclaration inexacte, l’employeur pourra faire l’objet d’une pénalité financière prononcée par l’organisme gestionnaire du C2P, dans la limite de 50% du plafond mensuel de la sécurité sociale (plafond mensuel de la sécurité sociale de 3.311 euros en 2018), au titre de chaque salarié pour lequel l’inexactitude est constatée.
- Que deviennent les 4 facteurs de risques professionnels désormais exclus du C2P ?
Depuis le quatrième trimestre 2017, les entreprises ne sont plus tenues de déclarer les salariés exposés aux 4 facteurs de risques professionnels exclus du dispositif :
- manutentions manuelles de charges ;
- postures pénibles définies comme positions forcées des articulations ;
- vibrations mécaniques ;
- agents chimiques dangereux, y compris les poussières et les fumées.
Ces quatre risques exclus du C2P ne sont pourtant pas à négliger puisque, s’ils ne permettent plus d’acquérir de points pour alimenter leur compte, les salariés exposés à ces risques pourront toutefois bénéficier d’un départ anticipé à la retraite pour incapacité permanente reconnue au titre d’une maladie professionnelle consécutive à l’exposition du salarié à l’un ou plusieurs de ces quatre facteurs de risque.
L’arrêté du 26 décembre 2017 fixe la liste des maladies professionnelles concernées. Il s’agit soit de maladies reconnues au titre des tableaux de maladies professionnelles mentionnés dans l’arrêté, soit de maladies hors tableaux reconnues d’origine professionnelle et dont l’imputabilité à un ou plusieurs des facteurs de risques précités est attestée par la Caisse primaire d’assurance maladie ou la caisse de Mutualité sociale agricole.
Pour pouvoir bénéficier du dispositif de retraite anticipée, le salarié doit remplir les conditions suivantes :
- le salarié doit justifier d’une incapacité permanente d’au moins 10% ;
- cette incapacité doit être reconnue au titre d’une maladie professionnelle consécutive à l’exposition à un ou plusieurs des quatre facteurs de risques professionnels exclus du compte professionnel de prévention.
Lorsque ces conditions sont remplies, aucune exigence spécifique à la durée d’exposition n’est requise et le salarié n’a pas à établir que l’incapacité permanente est directement liée à l’exposition à ces facteurs de risques professionnels exclus du C2P pour pouvoir bénéficier d’une retraite anticipée.
2 – LE FONCTIONNEMENT ET LE FINANCEMENT DU COMPTE PROFESSIONNEL DE PRÉVENTION
Les modalités de fonctionnement du C2P, en matière d’acquisition et d’utilisation des points demeurent pour l’essentiel inchangées. Son financement est, en revanche, sensiblement modifié.
- Comment le C2P est-il alimenté ?
Le salarié acquiert annuellement, 4 points en cas d’exposition à un seul facteur de risque, 8 points en cas d’exposition à plusieurs facteurs de risque.
Pour les salariés dont le contrat est supérieur ou égal à un mois, débute ou s’achève en cours d’année civile, toutes les déclarations faites par le ou les différents employeurs sont réunies pour calculer la durée d’exposition en mois au titre de l’année civile du salarié.
Chaque période d’exposition de 3 mois à un risque professionnel donne lieu à l’attribution d’un point.
Chaque période d’exposition de 3 mois à plusieurs risques donne lieu à l’attribution de deux points.
Le total des points inscrits sur le C2P ne peut excéder 100 points.
Il est également à noter que le C2P est géré par la CNAM, alors que le C3P était géré par la CNAV.
Les salariés peuvent accéder en ligne à un relevé de points leur permettant de connaître le nombre de points disponibles : www.compteprofessionnelprevention.fr.
- Quelle utilisation les salariés peuvent-ils faire du C2P ?
Le titulaire du compte peut décider d’affecter les points acquis pour :
- la prise en charge de tout ou partie d’une action de formation professionnelle en vue d’accéder à un emploi non exposé ou moins exposé ;
- le financement du complément de sa rémunération et des cotisations afférentes en cas de passage à temps partiel ;
- le financement d’une majoration de durée d’assurance vieillesse et d’un départ anticipé à la retraite.
- Comment le C2P est-il financé ?
Comme nous vous l’annoncions dans notre dernier article, depuis le 1er janvier 2018, la gestion et les dépenses engendrées par le C2P sont couvertes par les organismes nationaux de la branche AT/MP.
Le fonds de financement de la pénibilité a été dissous et les cotisations spécifiques à la pénibilité (de base et additionnelles) ont été supprimées.
3 – ÉLARGISSEMENT DU PÉRIMÈTRE DE LA NÉGOCIATION OBLIGATOIRE
L’ordonnance maintient l’obligation, pour les entreprises dépassant un seuil d’effectif, de négocier un accord en faveur de la prévention des effets de l’exposition aux dix facteurs de risques professionnels, et à défaut d’accord, de mettre en œuvre un plan d’action.
Désormais, un nouveau critère implique la mise en œuvre d’une négociation relative à la « pénibilité » : le seuil de sinistralité au titre des AT/MP.
- Quelles sont les entreprises concernées par la négociation de la prévention des facteurs de risques énoncés à l’article L. 4161-1 du Code du travail ?
L’obligation s’impose toujours à toutes les entreprises qui emploient au moins 50 salariés ou qui appartiennent à un groupe dont l’effectif comprend au moins 50 salariés :
- et qui comptent au moins 25% de leur effectif exposé, au-delà des seuils réglementaires, aux 6 facteurs de risques maintenus dans le C2P ;
- ou à compter du 1er janvier 2019, aux entreprises dont l’indice de sinistralité est supérieur à 0,25.
« L’indice de sinistralité est égal au rapport, pour les trois dernières années connues, entre le nombre d’accidents du travail ou de maladies professionnelles imputées à l’employeur, à l’exclusion des accidents de trajet, et l’effectif de l’entreprise ».
Par dérogation, les entreprises dont l’effectif comprend au moins 50 salariés et est inférieur à 300 salariés (ou appartenant à un groupe dont l’effectif est inférieur à 300 salariés), sont dispensées de cette obligation dès lors qu’elles sont couvertes par un accord de branche étendu dont le contenu respecte les prescriptions légales.
- Quel est le contenu de l’accord ou du plan d’action ?
L’accord ou le plan d’action repose sur un diagnostic préalable des expositions aux 10 facteurs de risques professionnels. Il prévoit les mesures de prévention qui en découlent et qui s’appliquent à tous les salariés exposés à un ou plusieurs de ces facteurs, ainsi que les modalités de suivi de leur mise en œuvre effective.
L’accord doit traiter d’au moins deux des thèmes suivants :
- la réduction des polyexpositions aux 10 facteurs de pénibilité à l’article L.4161-1 du code du travail au-delà des seuils associés ;
- l’adaptation ou l’aménagement du poste de travail ;
- la réduction des expositions aux facteurs de risques professionnels.
Il doit également aborder au moins deux des thèmes suivants :
- l’amélioration des conditions de travail, notamment au plan organisationnel,
- le développement des compétences et qualifications,
- l’aménagement des fins de carrière,
- le maintien en activité des salariés exposés aux facteurs de pénibilité.
« Pour ces quatre derniers thèmes, l’accord devra préciser les mesures de nature à permettre aux titulaires d’un C2P d’affecter les points qui y sont inscrits pour une action de formation ou de passage à temps partiel. »
Chaque thème retenu dans l’accord ou le plan d’action est assorti d’objectifs chiffrés dont la réalisation est mesurée au moyen d’indicateurs, communiqués annuellement au CSE.
L’accord ou le plan d’action est conclu pour une durée maximale de trois ans et fait l’objet d’un dépôt auprès de l’autorité administrative compétente.
- Quel est l’organe compétent pour contrôler cet accord et quel est le montant maximal de la sanction encourue ?
Lorsqu’il constate un manquement de l’employeur au titre de l’accord ou du plan d’action, l’Inspecteur du travail doit adresser une mise en demeure à l’employeur de remédier à cette situation dans un délai de 6 mois.
À l’issue du délai imparti par la mise en demeure, la DIRECCTE décidera si la méconnaissance entraîne une pénalité, dont elle fixera le cas échéant le taux au regard :
- des diligences accomplies pour conclure un accord ou élaborer un plan d’action relatif à la prévention de la pénibilité ;
- des mesures prises dans l’entreprise pour prévenir la pénibilité au travail.
Le montant de la pénalité est plafonné à 1 % des rémunérations ou gains au sens de l’article L.242-1 alinéa 1er du Code de la Sécurité Sociale.