Dans un nouveau rapport, l’EU-OSHA fait le point sur les liens entre télétravail et santé et sécurité au travail. Selon l’Agence européenne, le télétravail obligatoire pendant la pandémie a pu exacerber les risques psychosociaux et les risques de TMS.
Le télétravail : une expérience positive amenée à perdurer ?
La pandémie de Covid-19 a très fortement augmenté l’usage du télétravail, mode d’organisation qui est appelé à se pérenniser. En effet, l’EU-Osha estime que la numérisation du travail et l’augmentation de la flexibilité des modalités de travail va continuer à augmenter. Il est ainsi pertinent de faire le bilan en termes de santé sécurité au travail de l’expérience de télétravail provoquée par la pandémie.
Le rapport de l’EU-Osha repose sur une revue bibliographique et une série d’entretiens avec 48 employés et 18 employeurs réalisés dans trois pays – Espagne, France et Italie – de février à mai 2021.
Au niveau bibliographique, certaines études suggèrent que les perceptions du travail à domicile, à la fois pour les salariés et les employeurs, se sont considérablement améliorés depuis le début de la pandémie, ce qui se traduit par une préférence généralisée pour les modalités de travail hybrides (Barrero et al., 2020 ; Microsoft Work Trend Index, 2021). Cependant, des défis existent : le rapport de l’EU-Osha note notamment que la coordination des équipes a été particulièrement difficile.
A contrario, le contrôle et le suivi des performances (même pour les professions qui ont été traditionnellement soumises à des supervisions directes, à savoir les emplois moyennement qualifiés) n’ont pas été considérablement modifiés car ils se sont avérés efficaces.
Attention aux RPS
Si l’évaluation de l’expérience du télétravail pendant la pandémie de Covid-19 est globalement positive, l’incidence des risques psychosociaux ne doit pas pour autant être occultée. Des études montrent que les risques psychosociaux sont les risques professionnels les plus courants associés au télétravail (Charalompous et al., 2019 ; Oakman et al., 2020).
Même si, pendant les confinements, le télétravail était très particulier, car obligatoire et à 100%, et a pu exacerber les RPS, la recherche sur l’expérience du télétravail au cours de cette période peut fournir des informations précieuses sur les problèmes en SST dans le contexte post-pandémique.
Intensification du travail
Des études montrent que le télétravail obligatoire a été particulièrement difficile pour des emplois avec des niveaux élevés d’interaction sociale et d’exigences émotionnelles (ex. : enseignants, travailleurs sociaux), mais aussi pour d’autres emplois impliquant un certain degré d’interaction en face-à-face qui peuvent être difficiles à reproduire par des moyens virtuels sans perdre en qualité (ex. : emplois commerciaux) (Fana et al., 2020). Le bilan est donc mitigé. D’une part, certaines tâches peuvent être effectuées à distance de manière plus confortable et productive, et les salariés souhaitent pouvoir continuer à travailler à domicile de manière occasionnelle et à la demande dans un scénario post-pandémique. Mais, d’autre part, pour ce type d’emplois, le maintien de l’interaction en face à face reste essentiel.
La recherche montre une intensification du travail lié au télétravail, avec des heures supplémentaires informelles ou des horaires irréguliers pour faire face à une charge de travail accrue avec du stress et des problèmes de santé (Arlinghaus et Nachreiner, 2014 ; Maroux, 2018 ; Eurofound, 2020a). Il y a aussi un risque de transformer le temps de trajet en temps de travail (Kun et al., 2020 ; Gibbs et al, 2021). Le télétravail comporte des risques évidents d’allongement du temps de travail et des difficultés accrues de décrochage, souvent associées à des perceptions sur une obligation ressentie d’être disponible en permanence. Certaines pratiques comme l’envoi d’e-mails en dehors des heures de travail sont plus courantes en télétravail, et peuvent conduire à des attentes implicites de disponibilité prolongée. Les salariés peuvent, par exemple se sentir obligés d’être plus visibles et «toujours actifs » lorsqu’ils travaillent isolés de leurs collègues et managers.
Isolement et collaboration intense en équipe virtuelle
La recherche a identifié l’isolement comme l’un des principaux risques psychosociaux du télétravail intense. Les sentiments d’isolement ont été prédominants dans le contexte de Covid-19 en raison du manque prolongé d’interactions en face à face avec les collègues et les superviseurs (Carillo et al., 2020; Waizenegger et al., 2020; Parry et al., 2021 ).
En parallèle, l’intensité numérique de la collaboration en équipe (avec des interactions en face à face réduites) est un enjeu critique avec différentes implications sur la performance et les RPS. Cela peut entraîner :
- une surcharge d’informations due à la gestion de grandes quantités d’informations provenant d’outils numériques multiples et superposés qui permettent des formes de communication synchrones (La Torre et al., 2019 ) ;
- une surcharge non-verbale : en face à face, les indices non verbaux aident à encadrer et à comprendre l’information et à éviter les malentendus, leur perte nécessite un effort supplémentaire pour parvenir à une communication efficace (Bailenson, 2021);
- une mauvaise collaboration et performance d’équipe, en particulier parmi les employés intégrés dans des processus de travail hautement interdépendants et itératifs qui reposent sur des interactions sociales fréquentes (Golden et Gajendran, 2019 ; Gibbs et al., 2021).
Les résultats terrain sont conformes à ce volet de la recherche : la coordination d’équipe est généralement perçue comme prenant plus de temps. De plus, les réunions virtuelles ont tendance à être davantage axées sur le travail et ne laissent aucune place à des échanges plus informels. Les principaux effets sont des sentiments d’isolement, de fatigue et d’insécurité face à l’incompréhension et aux malentendus.
TMS et autres problèmes physiques
Malgré des recherches limitées sur l’incidence des TMS chez les télétravailleurs à domicile, certaines indications suggèrent que ces risques pourraient être en augmentation. Le travail sur le terrain montre une incidence élevée de TMS autodéclarés et d’autres problèmes physiques, qui sont associés à différentes causes.
L’incidence des TMS est principalement rapportée en relation avec une sédentarité accrue, de mauvaises conditions ergonomiques à la maison et l’expérience de conditions de travail ou de travail stressantes ou de longues heures de travail. De plus, une sédentarité accrue peut aggraver les problèmes physiques antérieurs et contribuer à l’émergence de nouveaux, tels que la prise de poids, les maux de dos et de cou, la fatigue visuelle ou la fatigue oculaire. Les contraintes d’espace auxquelles sont confrontés de nombreux employés les empêchent d’installer un poste de travail respectant les normes minimales d’ergonomie. Ces contraintes sont particulièrement fortes pour les salariés qui doivent partager leur espace de travail avec d’autres membres de la famille, et les salariés vivant dans des grandes villes (manque d’espace).
Les bonnes pratiques
Un travail hybride
Dans l’ensemble, les recherches suggèrent que les modalités de travail hybrides offrent le meilleur équilibre entre la flexibilité du travail à distance et l’interaction en face à face avec les managers et les collègues (Contreras et al., 2020).
Une véritable autonomie
Le télétravail est généralement associé à une autonomie perçue accrue, ce qui contribue à atténuer la perception de surcharge de travail et de stress associé (Gajendran et Harrison, 2007). Attention, cependant, des études ont souligné l’importance de porter une grande attention aux capacités des individus à faire face aux exigences du travail et à gérer les frontières entre la vie professionnelle et la vie privée (Perry et al., 2018 ; Thörel et al., 2020 ; Allen et al. ., 2021). Il est évident que l’autonomie est compromise lorsque les organisations s’attendent à ce que les employés soient disponibles en dehors des heures normales de travail (Gadeyne et al., 2018 ; Thulin et al., 2019, Büchler et al., 2020).
Contrôle et soutien organisationnel
L’expérience du télétravail pendant la crise du Covid-19 a eu un impact significatif sur le dépassement de la méfiance et de la réticence de la direction à l’égard du télétravail. Ceci est généralement reconnu par les employeurs et les employés. Ainsi, le télétravail a progressivement évolué vers une posture plus positive et basée sur la confiance. Cependant, deux aspects importants demeurent mal pris en compte : fournir un soutien matériel au télétravail et prévenir les risques psychosociaux La mise à disposition d’équipements ergonomiques et surtout la compensation des coûts liés au télétravail ont, par exemple, été limitées.
Le travail de terrain a permis d’identifier quelques exemples de bonnes pratiques, notamment la fixation de limites de disponibilité, la collecte d’informations systématiques sur le bien-être des salariés et la formation des managers à l’adaptation des pratiques managériales et d’organisation du travail, notamment en développant une meilleure compréhension des risques psychosociaux. À cet égard, fixer des limites claires à l’utilisation des TIC semble être un élément crucial.
Dialogue social et négociation collective au niveau de l’entreprise
Malgré les circonstances extraordinaires de la crise Covid-19, le travail de terrain suggère que le dialogue social et la négociation collective peuvent jouer un rôle important dans la régulation du télétravail.
Tendances réglementaires au niveau national
L’accord-cadre de l’UE sur le télétravail (2002) est la principale référence en matière de législation et de négociation collective sur le télétravail dans la plupart des États membres de l’UE. Il inclut la définition du télétravail et la réglementation de ses aspects fondamentaux : le volontariat tant pour les employés que pour les employeurs, la réversibilité, l’égalité en matière d’emploi, de formation et de droits collectifs, la protection des données, le respect de la vie privée et la responsabilité des employeurs en matière de SST.
Au niveau des dispositions spécifiques en matière de SST : dans certains pays, l’obligation des employeurs d’effectuer une évaluation des risques et d’informer les travailleurs des risques potentiels est explicitement mentionnée dans la législation. Cependant, les procédures d’évaluation des risques diffèrent et, dans certains pays, les employeurs sont sévèrement limités par le droit à la vie privée (dans de tels cas, l’évaluation des risques est basée sur les informations fournies par le télétravailleur). L’éventail des risques pour la SST abordés varie également. Certains pays ont développé une réglementation pour évaluer et prévenir des risques psychosociaux spécifiques (à savoir l’isolement, les conflits travail-vie personnelle et le stress). Enfin, la responsabilité des employeurs en cas d’accident du travail est un domaine délicat et les réglementations nationales à cet égard varient considérablement.
En mars 2021, cinq pays avaient déjà mis en œuvre des changements juridiques : l’Espagne, l’Italie, la Lettonie, le Luxembourg et la Slovaquie, tandis que la législation était en cours de révision dans de nombreux autres pays (Belgique, Allemagne, Irlande, Croatie, Chypre, Hongrie, Malte, Pays-Bas, Autriche, Pologne, Portugal et Slovénie). Les changements juridiques et les débats politiques sur le télétravail englobent quatre aspects principaux :
- la définition légale du télétravail (y compris la distinction entre télétravail régulier et occasionnel) ;
- le droit de se déconnecter ;
- le droit au télétravail ;
- les dispositions en matière de SST.
Clémence Andrieu, Dictionnaire permanent Sécurité et conditions de travail des Editions Législatives
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