Alors que chaque année près d’un million d’accidents du travail sont comptabilisés, dont plusieurs centaines d’accidents mortels (environ 500), et près de 50 000 nouvelles maladies professionnelles reconnues, la Cour des comptes a récemment publié un rapport sur « Les politiques publiques de prévention en santé au travail dans les entreprises » dans le cadre des conditions de travail.
Les entreprises sont responsables de la préservation de la santé de leurs salariés. Elles agissent sur les conditions de travail et les processus de production afin de réduire les altérations de la santé. Toutefois, tout cela a un coût et il est nécessaire que les pouvoirs publics accompagnent les démarches des entreprises grâce à la réglementation et à une politique de prévention.
C’est dans ce contexte que la Cour des comptes s’est intéressée aux politiques publiques de prévention en santé et sécurité au travail dans les entreprises.
Remarque : les données de ce rapport sont principalement issues d’échanges et de contrôles menés sur les actions mises en œuvre par le ministère chargé du travail (DGT, Dreets, DDETS), le ministère chargé de la sécurité sociale (DSS), le secrétariat général du ministère de l’agriculture et de l’alimentation, la Cnam et son réseau de Cpam, le réseau des Carsat, la MSA, les organismes chargés de la politiques d’information, de surveillance, de recherche et d’actions de prévention en matière de SST recevant des subventions publiques (Anact, Anses, INRS, Santé publique France, OPPBTP), la Dares du ministère chargé du travail, les 203 services de prévention et de santé au travail inter-entreprises, ainsi que les organismes de veilles ou d’expertises (associations, établissements publics). |
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Stagnation d’ensemble
Depuis 2013, la situation d’ensemble en santé sécurité au travail ne s’améliore plus avec, certes des accidents du travail (AT) moins graves mais une fréquence qui ne diminue plus. Le risque de maladie professionnelle (MP) apparaît aussi globalement stable.
Remarque : 85 % des MP reconnues et indemnisées par le régime général sont dues à des troubles musculo-squelettiques (TMS). |
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Certaines entreprises reconnaissent « ne pas être impliquées en matière de prévention ». Pour preuve, d’après un sondage de la direction des risques professionnels de la Cnam, seules 66 % des entreprises interrogées ont entamé une démarche de prévention des risques professionnels. Les données recueillies attestent que les conditions de travail ne s’améliorent pas, voire s’aggravent dans certains cas. A l’inverse, les secteurs dans lesquels le risque est ancien et bien identifié (industrie, construction, etc.) affichent un taux de réponse positive plus important. La proportion d’entreprises se déclarant actives en matière de prévention augmente aussi avec leur taille.
Par ailleurs, la survenue des sinistres (accidents du travail, maladies professionnelles, accidents de trajet ou de mission), est davantage marquée dans certains secteurs d’activité. A titre d’exemple, des progrès sont observés dans le BTP, la métallurgie et la chimie alors que des dégradations apparaissent dans les secteurs du soin et de l’aide à la personne, du nettoyage, de la transformation du bois, des hypermarchés, du stockage, de l’entreposage frigorifiques ou encore de l’intérim. Les actions publiques en faveur de la prévention sont donc à concentrer sur certaines filières.Multiples cloisonnements
Selon la Cour des comptes, « le paysage de la santé au travail demeure fragmenté entre de multiples intervenants, sans véritable pilote ». Les plans en santé au travail sont de bons outils de culture partagée mais doivent être coordonnés et leur impact évalué.
Concernant les partenaires sociaux, ils occupent une place importante dans les politiques publiques de santé au travail mais sont investis de façon inégale. La mobilisation des branches professionnelles est également cruciale pour progresser. Elles doivent avoir l’expertise nécessaire et être accompagnées.
Alors que la loi n° 2021-1018 du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail a acté une certaine stabilité institutionnelle dans les acteurs de la santé au travail, les services de prévention et de santé au travail (SPST) sont davantage mobilisés sur les sujets de prévention (mise en place de « l’offre socle », certification, etc.).
Cette fragmentation se fait également sentir dans la recherche en santé au travail qui n’est pas suffisamment en lien avec l’écosystème des grands financements de la recherche.
L’articulation entre la santé au travail et la santé publique reste limitée. Une approche plus globale des risques sanitaires dans le cadre professionnel et dans la vie quotidienne est essentielle.
Pour progresser sur la compréhension des risques connus et l’anticipation des risques émergents, les pouvoirs publics ont tout intérêt à déployer une politique de veille sanitaire et de recherche en santé au travail. Ils doivent aussi « trouver les moyens d’inciter les entreprises à s’investir dans la prévention des AT » (volet prévention des risques professionnels dans les formations, accompagnement des entreprises dans leur démarche de prévention, incitations financières, contrôles, sanctions, etc.).Nombreux outils existants
Les politiques de prévention en santé au travail font appel à de nombreux outils tels que les obligations et les normes, la formation, la sensibilisation et l’assistance aux entreprises, l’accompagnement, les subventions, la tarification, la répression, etc.
Ces derniers pourraient être mieux mobilisés. En effet, les très petites entreprises notamment peinent à s’approprier la réglementation ainsi que l’ensemble des outils existants (documents obligatoires de prévention des risques, guides, modèles, kits de communication, outils méthodologiques, etc.). Un déficit d’accompagnement est constaté et doit être résolu.
Globalement, l’évaluation des effets des actions menées peine à démontrer leur efficacité. Les travaux sur l’intérêt de la prévention pour l’entreprise ne sont pas encore conclusifs et sont à poursuivre.
Parmi l’ensemble des priorités identifiées, certaines rencontrent des difficultés à se concrétiser. Pour modifier cette tendance, un ciblage des entreprises par la branche AT-MP est à affiner. D’après la Cour des comptes, le budget public de prévention, qui s’élève à deux milliards d’euros par an, reste limité par rapport aux montants de réparation. Une problématique émerge aussi concernant le vieillissement de la population active dont les enjeux ne sont pas suffisamment pris en compte. Il en est de même pour les salariés intérimaires qui représentent un public peu connu et peu pris en compte. Enfin, d’après les données recueillies, il est jugé que les actions réalisées par les pouvoirs publics en matière de prévention de la désinsertion professionnelle sont assez tardives et partielles.10 recommandations
Pour terminer, la Cour des comptes émet dix recommandations générales structurées selon deux axes principaux :
- améliorer le pilotage et décloisonner la santé au travail :
- mettre l’accent, dans les plans en santé au travail, sur les actions qui exigent un effort de coordination entre les acteurs institutionnels concernés et renforcer le pilotage de celles-ci ;
- mieux prendre en compte la sinistralité élevée propre à certaines filières et populations pour l’intégrer pleinement dans le ciblage des orientations nationales des actions de prévention ;
- définir une stratégie de partage ciblé de données entre santé au travail et santé publique au profit d’une meilleure prévention ;
- définir les priorités de prévention en termes de risques et d’entreprises ciblées, en tenant compte de l’impact financier des sinistres sur l’ensemble des branches de la sécurité sociale ;
- assurer une plus grande continuité du calendrier et des objectifs de la convention d’objectifs et de gestion de la branche AT-MP entre l’État et la Cnam, avec ceux du plan en santé au travail afin de permettre l’évaluation complète de celui-ci ;
- accentuer, dans la contractualisation des services du ministère du travail et des Carsat avec les SPST, le volet relatif au développement de l’activité de prévention dans les entreprises ;
- affiner les outils et garantir la mise en œuvre des priorités :
- rendre la tarification plus incitative à la prévention des AT en majorant les taux de cotisation lorsque l’entreprise présente une sinistralité anormalement élevée dans son domaine d’activité ;
- poursuivre les travaux d’évaluation permettant d’apprécier de manière robuste l’efficacité des programmes de prévention ;
- rendre plus efficace l’accompagnement à la reprise du travail par une intervention très précoce auprès des salariés, en lien avec leur médecin traitant, en associant durant l’arrêt de travail l’employeur et les SPST ;
- mettre en œuvre sans tarder un programme de contrôle du respect par les employeurs de leurs obligations relatives au compte professionnel de prévention.
Laura Guegan
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